Il fait nuit noire. Vous ne voyez rien, excepté ces ombres floues qui vous entourent, qui ne cessent vous narguer, et ce depuis des heures. Vous sentez que les branches des arbres bougent autour de vous, que cet endroit n'est pas calme. Il se passe quelque chose. A chacun de vos pas, des feuilles craquent sous vos pieds, et, à force d'entendre des bruits, vous commencez à vous questionner, à vous demander si vous êtes vraiment seul... Le vent glacial qui vous transperce n'aide pas à vous rassurer, il siffle dans vos oreilles, il vous fait frissonner... vous avez froid. Vous blottissant au creux de votre manteau, vous commencez à vous demander si vous allez finir par retrouver votre chemin, ou bien si vous allez être condamné à passer la nuit ici, au beau milieu de la forêt de Paori, loin de chez vous. Vous êtes perdu.

Alors que vous progressez difficilement en ce lieu inconnu et peu sûr, vous perdez confiance, et réalisez que vous ne faites que vous épuiser en essayant de trouver une sortie, que cela ne vous mènera à rien. Soudain, une lumière blanchâtre apparaît, vous plissez les yeux. Après quelques secondes de fascination, vous vous rendez compte qu'un homme se trouve à quelques mètres de vous. Dignement assis sur son grand cheval blanc, ce dernier vous observe de ses yeux clairs. Ils vous transpercent, leur bleu pâle vous hypnotise ; ses cheveux blonds platine vous éblouissent tant ils sont lumineux ; sa peau lisse et claire vous attire, elle  vous murmure de venir l'effleurer... en observant plus précisément, vous remarquez qu'un reptile blanc entoure le cou du jeune homme. La transparence et la pâleur qui ressort de cette vision vous fait penser à... c'est invraisemblable mais... vous avez l'impression que... c'est un... un fantôme...

... et vous ne vous trompez pas entièrement : vous êtes en présence de Ghost, vagabond errant dans les alentours, connu pour détrousser les malheureux qui croiseraient son chemin.

Vous ne savez rien de lui, vous en avez seulement entendu parler, mais sa présence ne vous rassure pas. A vos yeux, ce n'est qu'un criminel, un homme cruel et sans merci, qui s'est exilé pour échapper à la justice de son clan, à la sentence qu'on lui aurait infligée pour ce qu'il a fait... si vous saviez...

Mais le fait est que vous ne le connaissez pas. Pas du tout. Son caractère est très différent de la manière dont il est décrit dans les légendes urbaines...

Ghost a toujours été très révolté, depuis sa plus tendre enfance. Ce trait de caractère s'associe bien avec son statut de rebelle, avec sa haine des tribus, de toutes les tribus. Car il faut savoir que ce jeune homme est un insoumis, qui n'acceptera jamais de s'incliner devant qui que ce soit, même s'il faut qu'il y perde la vie : il préférera rester digne et libre jusqu'à son dernier souffle. Et pour en ajouter à sa force de caractère, il est impulsif. Très impulsif. Et c'est sa principale faiblesse : il se laisse dominer par sa colère, il la laisse prendre le contrôle de lui, et a tendance à agir sans vraiment réfléchir. Ce qui peut mener à des conséquences fâcheuses. Mais passons. Il est également doté d'un grand courage et d'une force qui lui sont d'une certaine utilité quant à sa situation et ses objectifs. Enfin, la chose qu'il déteste le plus chez une personne est qu'elle s'attaque à plus faible que soi, ce genre de lâcheté le dégoûte et le fait sortir de ses gonds...

Si vous croisez son chemin, vous êtes presque sûr de vous faire voler. Mais vous vous en sortirez vivant, si vous n'êtes pas l'une de ses cibles : il ne tue jamais sans raisons valables. Et si vous réussissez à faire parler ce loup solitaire, il vous paraîtra sûrement froid et méfiant. Mais grattez un peu cette carapace et vous tomberez sur un jeune homme délicieux... peu ont réussi à lui faire révéler cette facette de sa personnalité jusqu'ici, mais les rares qui y sont parvenus ont pu découvrir un Ghost doux et gentil, un peu moqueur... il ne s'attache pas facilement aux gens, sauf s'ils sont spéciaux à ses yeux... et quand c'est le cas il s'en rend compte, dès le début. Mais quand il tient à vous, vous le réalisez forcément, parce qu'il développe un certain instinct de protection envers ceux qui lui sont chers, sans même s'en rendre compte.

Le personnage se trouvant en face de vous est en somme assez compliqué et difficile à cerner.
Ce qui est légitime : un fantôme se doit d'être mystérieux.

Mon histoire ? Pourquoi, elle t'intéresse, ma vie ? Qu'est-ce que ça peut te faire, de savoir ? Ca t'avancera à quoi ? Je veux pas qu'on vienne me plaindre, je veux pas qu'on aie pitié de moi. Oui, je me braque, oui je m'énerve, et alors ? Je suis comme ça. Tu veux vraiment savoir, hein ? Très bien, je vais te dire. Je vais te dire comment j'en suis arrivé là, comment tout a commencé. Mais je te préviens, c'est pas tout rose comme histoire...

Au début, j'étais juste un gosse innocent, un petit garçon qui passait ses journées à courir et à faire de petites bêtises sans conséquences, comme tous ceux de son âge... et puis ma mère est tombée enceinte une deuxième fois. Je me souviens pas vraiment de l'effet que ça m'a fait de savoir que je ne serais plus le seul à la maison, mais j'ai assez rapidement accepté cette idée... j'ai même fini par être pressé que le bébé naisse, je voulais pouvoir jouer avec lui et lui apprendre des tas de choses, je voulais être un grand frère exemplaire...
Mais voilà, au bout d'un certain temps, ma mère a commencé à aller de plus en plus mal ; elle avait des nausées, des maux de têtes, elle mangeait de moins en moins... et le temps n'arrangeait pas les choses. Son état de santé s'aggravait au fil des semaines, et nous restions à ses côtés, impuissants... moi, j'étais gosse, je ne me rendais pas réellement compte de la gravité de la situation, mais je sentais que ça allait mal, à force de voir leurs expressions maussades, eux qui étaient si joyeux et pleins de vie auparavant... et leur tristesse se reportait sur moi... je ne les ai jamais surpris en train de pleurer, je pense qu'ils se cachaient, pour me préserver un peu... mais il y a des signes qui ne trompent pas, même pour un petit enfant...

Et puis le pire a fini par arriver. Le jour de l'accouchement, elle est morte. Ma mère, la femme qui m'avait donné la vie, celle qui me chérissait et qui m'aimait, qui m'avait aidé à grandir, qui me préparait à manger, qui me réconfortait quand j'allais mal, qui me disputait quand je dérapais... je l'aimais plus que tout. Et la vie me l'a retirée, comme ça, sans prévenir. Sans aucune raison. Même aujourd'hui, j'ai beau y repenser sans arrêt, je ne comprends toujours pas, je ne comprendrai jamais pourquoi il a fallu que ça tombe sur elle...
Et en échange de cette vie, on m'a donné la plus belle des petites filles, mon petit ange, ma petite Snowflake... ma sœur... je n'avais pas encore pu réagir à la disparition de ma mère qu'on me mettait ce petit bébé dans les bras, ce petit être qui me regardait de ses grands yeux ronds, tout souriant... ce petit être qui n'avait pas idée de ce qui venait de se passer...

Mon père s'est suicidé le lendemain. Que voulez-vous, sa vie n'avait plus de sens sans ma mère, il voulait juste la rejoindre...

Nous étions devenus orphelins, la seule chose qu'il nous restait étaient nos serpents respectifs. Nous étions seuls, ma sœur et moi, deux gamins perdus au milieu d'un monde auquel nous ne comprenions rien... je l'aimais, cette petite, j'étais dingue d'elle, et je ne comptais l'abandonner pour rien au monde. Alors je l'ai protégée, comme j'ai pu.

Nous n'avions personne, et nulle part où aller... et moi, j'étais un mioche naïf et débile, avec un grand vide dans le cœur. Je n'ai pas pleuré. Je ne pouvais pas, pas devant elle, je ne pouvais pas lui montrer le moindre de signe de tristesse... je savais ce que c'était, je savais que même si elle venait de naître elle le sentirait, elle comprendrait... alors ma douleur s'est manifestée autrement... le jour où mon père s'est donné la mort, je suis sorti en milieu de journée, sous la chaleur accablante du soleil, et je me suis mis à courir. Je n'avais pas de destination précise en tête, je devais juste courir, courir, courir, encore et encore... et sauter aussi, hurler, pour faire sortir la douleur... et tuer, aussi. Parce que oui, j'ai égorgé quelques petits lapinous qui s'étaient trouvés sur mon chemin, sur le coup... et ça m'a fait du bien, à vrai dire. Et j'ai aimé ça, à vrai dire...

Le soir, je suis rentré, j'ai retrouvé ma petite sœur. Et la réalité m'a aussitôt rattrapé : j'ai réalisé que j'avais faim. Très faim. Et Snow mourait de soif, elle avait les lèvres tellement sèches... ce soir-là, j'ai eu la chance de pouvoir voler un sceau d'eau à une bonne femme qui l'avait laissé devant chez elle, mais je savais que ça ne pourrait durer ainsi...
Ce soir-là, nous n'avons pas mangé.

Le jour suivant... le jour suivant, une jeune femme est venue nous chercher, pour nous amener chez elle. Elle avait l'air gentille alors, conduit par ma naïveté, j'ai accepté de la suivre.  Elle nous a nourris, est allée mettre ma sœur dans un lit, et m'a expliqué qu'elle m'avait vu courir partout, et tuer un lapin le jour précédent. Elle m'a expliqué que comme nous ne pouvions pas nous prendre en charge, un groupe de personnes de la tribu dont elle faisait manifestement partie nous aiderait. Et il en fût ainsi... nous passions nos nuits chez différentes personnes, nous étions nourris... ils nous ont sauvés, il nous ont tellement aidés... aucun de nous deux n'aurait survécu longtemps s'ils n'étaient pas intervenus... ils n'étaient pas obligés de le faire, ils auraient pu nous laisser et, malgré tout ça... je leur suis extrêmement reconnaissant, je le serai toujours. Et je hais ma mémoire de ne s'être souvenue d'aucun d'entre eux... je n'ai que des images qui me reviennent par-ci par-là, mais aucun visage ne me revient en tête, aucun nom...

Mais, passons, le fait est que nous étions bien vivants, et aimés, grâce à eux tous. Ce petit train de vie dura quelques années, jusqu'à-ce que... je... c'est très flou dans mon esprit, je ne me rappelle plus très bien, je ne sais plus pourquoi je... oh, il n'y avait sûrement pas de vraie bonne raison, j'étais juste un gosse inconscient et torturé.
Un gosse qui a tué quelqu'un.
Mes souvenirs ne sont pas du tout précis, je me rappelle surtout de ce qui a suivi. Car, très rapidement, des rumeurs se sont mises à courir, les gens ont pris peur... et le chef de tribu a décrété que moi et ma sœur étions les enfants du mal, et que nous devions de ce fait être exécutés.

Et, pour la seconde fois, on nous a sauvés... les mêmes qui nous avaient élevés depuis la mort de nos parents, les mêmes qui nous aimaient, qui nous avaient aidés à grandir... ils nous ont fait échapper, dans le plus grand secret, au péril de leur vie... je ne sais pas ce qu'il est advenu d'eux par la suite, je ne le saurai peut-être jamais, mais s'ils ont été pris après ça et... je...
Peu importe. Ma sœur a été envoyée chez les Humains, chez les traîtres... pour sa sécurité, pour qu'elle puisse grandir et vivre en paix. Et, moi, j'ai été confié à des Vagabonds.

J'ai grandi parmi eux, ils m'ont appris à survivre, à chasser, à me battre... ils ont fait de moi un homme. Et, en même temps, leur présence a accentué ma haine envers les tribus, envers les chefs qui décident de tout, les habitants qui obéissent et suivent les règles comme des moutons...
Ils m'ont aussi appris à rester discret, et, par-dessus tout, à me cacher. A dissimuler mon identité. Personne ne sait qui je suis, personne ne doit jamais le savoir, parce que je dois la préserver, parce que sinon ils la retrouveront et lui feront du mal... je dois le cacher aux yeux du monde, pour ma sœur.

Alors je suis devenu un fantôme. Alors je suis devenu Ghost.